Le pouvoir dérive, la société civile sonne l’alarme

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Le pouvoir dérive, la société civile sonne l’alarme

Le Nouvelliste, 28 Février 2012

Neuf dérives du pouvoir en place menacent dangereusement les acquis démocratiques, consacrés par la Constitution de 1987, ont estimé dix organisations de la société civile. Dans une déclaration conjointe, elles tirent la sonnette d’alarme et appellent la population à la vigilance.

Haïti: Aucune bonne note pour le président Michel Martelly dans cette déclaration signée par des organisations de la société civile. Neuf mois à la tête du pays et déjà neuf dérives majeures du chef de l’Etat. Gaspillage des maigres ressources de l’Etat, attitude agressive face à la presse, retard dans la réalisation des élections pour le renouvellement du tiers du Sénat et des collectivités territoriales, laxisme vis-à-vis de ceux qui se réclament des Forces armées d’Haïti, obstruction à l’enquête sur la double nationalité, détérioration des relations avec l’Université, entre autres.

« Le refus du président de publier l’amendement de la Constitution crée un flou extrêmement grave », selon le responsable du Conseil haïtien des acteurs non étatiques, Edouard Paultre.

« A la faveur de ce flou, certains courants au sein du pouvoir prônent l’abrogation de la Constitution de 1987 et le renvoi du Parlement pour le remplacer par une Assemblée constituante. Une telle démarche inconstitutionnelle est absolument inacceptable et dangereuse pour l’avenir de la démocratie et la stabilité de notre pays », ont dénoncé les organisations de la société civile, d’où la première dérive de Michel Martelly.

« Il avait pris formellement l’engagement devant le peuple haïtien et la coopération internationale (Club de Madrid par exemple) de le publier. C’est un grand danger par rapport aux efforts pour parvenir à une société démocratique et respectueuse des droits de l’homme et des libertés fondamentales », a renchéri le directeur exécutif du Centre d’analyse et de recherche en droits de l’Homme (CARDH), Me Jean Gédéon joint au téléphone.

Les élections pour renouveler le tiers du Sénat devraient avoir lieu depuis le mois de novembre de l’année dernière. Cependant, le pouvoir en place n’a rien fait en ce sens. Une situation qui contribue à déstabiliser le pays, a estimé M. Paultre. Ce qui va entraîner à partir du mois de mai un dysfonctionnement quasi certain du Sénat et par voie de conséquence, du Parlement tout entier. Une autre dérive de l’ancien chanteur vedette de la formation musicale Sweet Micky. « Personne ne sait ce qui se passe dans la tête du président », a ajouté Edouard Paultre.

Beaucoup d’incidents prouvent l’attitude agressive de plus en plus fréquente du président Martelly à l’endroit de la presse, a avancé le directeur exécutif de l’Initiative de la société civile (ISC). Le professeur Rosny Desroches a rappelé que le chef de l’Etat a déjà « Tchupé » un journaliste, saisi le magnétophone d’un autre dans l’exercice de ses fonctions, entre autres. Une dérive qui a des conséquences néfastes sur la construction d’un Etat de droit.

Parce que Michel Martelly refuse catégoriquement de collaborer avec la commission sénatoriale sur la question de la double nationalité des membres du gouvernement, cela peut laisser croire qu’il a quelque chose à cacher sur ce point, a estimé Edouard Paultre. « Le président a pour devoir de faire la lumière sur ce flou » qui constitue encore une dérive.

Le laxisme envers la formation de milices paramilitaires informelles est inadmissible, a fulminé Rosny Desroches. Une situation qui, selon les organisations de la société civile, peut se révéler extrêmement dangereuse pour la démocratie et les droits des citoyens. « Le pays a certes besoin d’une armée, mais elle doit se constituer à partir d’un vrai consensus national et avec les garanties légales qu’elle ne sera au service ni d’une faction politique, ni d’une quelconque économie illicite.»

Autre dérive du président Martelly c’est le renvoi des conseils municipaux, « au mépris des normes constitutionnelles et malgré les promesses formelles de les maintenir en fonction jusqu’aux prochaines élections. Ce qui représente un abus de pouvoir et une usurpation du droit des populations des collectivités territoriales d’élire elles-mêmes leurs dirigeants. »

Le directeur exécutif du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) baisse un peu le ton avant d’acculer le chef de l’Etat. « Le président Martelly a de la bonne volonté, il aime son pays. Mais, distribuer des motocyclettes et des voitures pour une fin d’année constitue un gaspillage des ressources de l’Etat », a dénoncé Pierre Espérance, qui a suggéré à Michel Martelly la création d’emplois à la place de ce genre de dons.

« Le gaspillage des maigres ressources de l’Etat dans des dépenses improductives, somptuaires, y compris dans des contrats dénués de clauses susceptibles de protéger les intérêts de la nation », une autre dérive dénoncée par les dix organisations de la société civile.

Michel Martelly a détérioré les relations avec la communauté académique, à la suite de dégâts causés dans l’enceinte universitaire. Pour le responsable du GRAFNEH, James Jacques, « dans un pays où l’Etat se respecte et respecte la communauté universitaire, les rapports entre cette dernière et tous les autres pouvoirs devraient être cordiaux. Le président a contribué pour ne pas dire participer ouvertement, physiquement à une attaque brutale contre la vie des étudiants d’une part, et d’autre part contre les biens de cette institution. Vous conviendrez avec moi que nos rapports avec la présidence ne peuvent malheureusement que se détériorer davantage…»

« Je profite de l’occasion pour demander au président de la République de se mettre à la dimension d’un chef d’Etat pour éviter la répétition négative de ces événements qui projettent une très mauvaise image du pays vers l’extérieur », a poursuivi l’étudiant de la faculté d’ethnologie.

La neuvième dérive du président Martelly, selon les dix organisations de la société civile, « le dysfonctionnement, pour des raisons douteuses, du pouvoir exécutif au plus haut niveau, ayant conduit à la démission du Premier ministre, quatre mois seulement après sa ratification par le Parlement et le vide institutionnel prolongé qui pourrait s’ensuivre et qui risquerait d’amplifier la crise et d’accélérer les dérives mentionnées précédemment. »

Face à toutes ces reculades du chef de l’Etat, les leaders de la société civile « invitent les dirigeants des différents pouvoirs à se ressaisir et à assumer leurs responsabilités dans le respect des normes constitutionnelles. Ils lancent un appel à toutes les couches de la population et aux différentes catégories sociales, à faire preuve de vigilance, afin de préserver les acquis de 1986 et les chances pour le peuple haïtien de sortir véritablement de la misère et du sous-développement. »

Les organisations signataires:

Conseil haïtien des acteurs non étatiques

Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH),

l’Initiative de la société civile (ISC).

Réseau national de défense des droits humains (RNDDH)

Grand front national des étudiants haïtiens (GRAFNEH)

Action citoyenne (AC)

Mouvman fanm Kafou (MOFKA)

Organisation des patriotes pour Haïti (OPA)

Centre oecuménique des droits humains

Centre pour la promotion des droits de l’homme et de la démocratie en Haïti

 

Robenson Geffrard

[email protected]

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