Haïti: Clinton, décoré et remis en selle

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Le Nouvelliste, 21 Juillet 2011

Port-au-Prince, Haiti

L’un a des mots, sa volonté,son charme; l’autre, le carnet d’adresses des donateurs et investisseurs. Ensemble, ils ont fait le pari de travailler à la reconstruction d’Haïti quitte a remettre en selle une structure critiquée à cause de son inefficacité : la CIRH.

Costume beige foncé, nez passablement rougi, Bill Clinton retient ses larmes quand Michel Joseph Martelly passe autour de son cou l’une des plus hautes distinctions de l’Etat haïtien : Grand Croix plaqué or de l’Ordre national Honneur et Mérite. Humble, l’ancien président américain, envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon incline la tête en écoutant les éloges dus à son « engagement pour faire avancer la cause d’Haïti ». « Je ne pense pas que les anciens présidents américains aient besoin de décoration, mais celle là, je la reçois avec honneur », confie Bill Clinton, remise en selle avec son chapeau de co-président de la CIRH dont le bilan est pour le moins maigre et mitigé.

Le pari de Martelly

« Le président que je suis doit être objectif en reconnaissant que la CIRH peut-être un bon outil pour aider au développement d’Haïti si les problèmes auxquels elle est confrontée sont résolus », explique Martelly, moins mordant que lors de sa campagne électorale par rapport à cette structure dont il est en passe de solliciter un rallonge d’une année auprès du Parlement haïtien. « Rien n’a changé par rapport à ma position critique », rassure sans convaincre le chef de l’Etat qui croit avoir trouvé une panacée aux maux de cette entité née à la conférence des donateurs du 31 mars 2010 à New York où près de 9 milliards de dollars avaient promis pour la reconstruction du pays après le séisme dévastateur du 12 janvier.

« Aujourd’hui, nous sommes venus avec un nouveau comité pour réparer les erreurs de celui qui était là par le passé », selon Martelly, sans entrer dans les détails sur la façon de résoudre les principaux problèmes de la CIRH : manque de transparence, problème de coordination, absence de stratégie cohérente pour aider effectivement au renforcement de l’Etat haïtien…

Combinaison parfaite

Optimiste, Michel Joseph Martelly, aussi perspicace qu’un vendeur de chaussures Vittiello, vante les mérites du décoré, Bill Clinton. « Je pars à la recherche de ce qui reste de l’argent promis à Haïti. Si Clinton n’est pas là, je ne sais pas où aller, qui contacter, explique Martelly, résolument décidé à mettre la main à la pate, de donner du sien aux cotés de l’ex-gouverneur de l’Arkansas dans l’effort pour reconstruire Haïti, attirer les investissements. Cette combinaison entre celui qui a le carnet d’adresse des donateurs, des investisseurs et l’énergie, la fougue, le charme et l’honnêteté donnera des résultats », gage le président Michel Joseph Martelly qui s’est demandé qu’est-ce qui a été fait avec les quelque 4 milliards de dollars donnés à Haïti.

Martelly, charmeur, mise sur les investissements. A la limite, l’argent ne m’intéresse pas au premier chef. Je souhaite que l’on construise des routes, des hôpitaux, des centrales électriques en vue de rendre le pays plus attractifs, révèle-t-il, moins de 24 heures avant une nouvelle réunion du conseil d’administration de la CIRH à l’Hôtel Montana.

Cette réunion intervient après un certain flou sur l’avenir en l’état de la CIRH suite à de nombreuses critiques et une reconnaissance d’inefficacité à peine voilée de l’adjoint de Bill Clinton, Paul Farmer il y a quelques semaines. « Le fait que 99% du financement de secours contourne les institutions publiques haïtiennes rend par exemple le leadership du gouvernement d’autant plus difficile », reconnait M. Farmer dans un rapport titré (L’aide a-t-elle changé ? Acheminement de l’aide à Haïti avant et après le séisme ).

Quelques critiques

« La CIRH entre dans une logique d’affaiblissement et de substitution de l’Etat », avait rappelé l’économiste Camille Charlmers de la PAPDA, qui souligne que les priorités de décaissements de fonds en faveur des ONG n’ont pas changé. Cette logique, selon Charlmers, a conduit à la dispersion, à l’absence de coordination qui nuisent à l’efficacité des interventions. L’économiste altermondialiste avait, dans la foulée, plaidé en faveur d’un changement de paradigme de la coopération internationale avec Haïti en vue d’accepter une prise en charge locale du développement. Il faut renforcer les institutions étatiques, s’assurer qu’elles soient plus démocratiques, transparentes. Ainsi, avait indiqué Charlmers, la confiance sera rétablie dans la perspective d’un rapport qualitatif entre les institutions et la population.

Si les bailleurs ont jusqu’à aujourd’hui fourni quelque 37 % des fonds promis, l’économiste Kesner Pharel avait déploré la logique du « capitalisme de désastre » et les interventions peu structurantes, pérennes des ONG dans un pays comme Haïti, en proie à des catastrophes naturelles. « Très souvent, dans la logique du capitalisme de désastre, l’argent dépensé ne contribue pas à créer de la richesse ni de la valeur ajoutée dans l’économie », avait expliqué Kesner Pharel, qui souligne quelques effets néfastes de cette façon de faire. Injecter des fonds uniquement pour la consommation est susceptible de créer des déséquilibres monétaires, poser des problèmes sur le marché du travail avec les salaires trop élevés octroyés à des employés d’ONG.

L’économiste avait par ailleurs souligné la nécessité pour les responsables de la CIRH de rendre des comptes. « Ces responsables doivent démontrer quels secteurs de l’économie ont bénéficié des retombées de l’injection de quelque 2 milliards de dollars américains dans l’économie. De la santé à la construction, en passant par la production agricole », avait-t-il dit.

ONG, Clinton ne lâche pas

Cependant, malgré le rapport Farmer, Bill Clinton, n’a pas lâché les ONG. « Je veux que les ONG soient très actives », plaide Clinton, flanqué de ses décorations. « Les ONG doivent entrer dans le cadre du plan établi par le gouvernement haïtien », souligne Clinton, quelques semaines après une déclaration d’impuissance du Premier ministre Jean-Max Bellerive, ministre de la Planification face aux ONG lors d’une audition de ce dernier au Sénat de la République. Il y a un vide juridique et le ministre de la Planification ne supervise pas les ONG, avait-il dit.

Décoré, remis en selle, Bill Clinton disposera d’au moins d’un an pour mieux faire si le Parlement prolonge le mandat de la CIRH. Car dissoudre cette comission consacrerait l’échec Bill Clinton, un ancien président américain respecté à travers le monde.

Roberson Alphonse

http://www.lenouvelliste.com/articles.print/1/95236

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