Haïti: pourquoi la reconstruction n’a pas eu lieu

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Le séisme n’a fait qu’accentuer les failles d’autrefois. Deux ans après, le pays peine à se relever.

Article taken from SlateAfrique. Original article here.

Le palais présidentiel est toujours là, détruit, comme si rien n’avait bougé depuis ces 35 interminables secondes qui ont marqué à jamais le peuple haïtien le 12 janvier 2010. Comment ne pas voir dans cette institution d’Etat en ruines le symbole même du drame qui continue de toucher le pays?

Le séisme, nous disait-on, devait être une “opportunité” pour (re)construire Haïti. Face à l’ampleur et à la complexité de la tâche, les ONG ont certes sauvé des vies, mais n’ont pas pu résoudre tous les maux du pays. Etait-ce seulement leur rôle? “On ne va pas reprocher aux pompiers de venir éteindre l’incendie, mais on ne peut pas non plus leur demander de reconstruire l’immeuble”, ironisait Pierre Salignon, directeur de Médecins du Monde, interviewé par le magazine Là-Bas.

Pourquoi la reconstruction stagne-t-elle? Où est passé l’argent récolté? Et surtout, comment reconstruire Haïti? Nous nous sommes rendus sur place pour mieux comprendre la situation. Explications.

1. Qui gère la reconstruction en Haïti?

La question est simple. La réponse, plus difficile à trouver… y compris auprès des acteurs du secteur de l’humanitaire en Haïti! La gestion de l’après-séisme a été un beau bazar, pour le moins opaque. Difficile de mettre en place une vraie coordination au sein de la la nébuleuse humanitaire.

Outre la Minustah (mission de stabilisation des Nations unies pour le développement) qui intervient comme une structure d’appui aux acteurs humanitaires et à l’Etat, plus de mille ONG ont débarqué après le séisme. Sans oublier les multiples bailleurs de fonds, d’autres organismes onusiens, comme le PNUD, les fondations et tous les acteurs qui ont décidé, de leur propre chef, de venir dans le pays pour aider.

Un organisme était néanmoins chargé de coordonner tous les projets de reconstruction: la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti. Alors que la CIRH est arrivée à la fin de son mandat fin octobre 2011, la question du prolongement de sa mission reste en suspens. En effet, l’organisme est critiqué de toute part, accusé de renforcer la tutelle étrangère sur le pays. Il faut dire qu’il est coprésidé par Bill Clinton, celui-là même qui est accusé d’avoir affamé le pays en décrétant un embargo sur Haïti.

Dans une enquête publiée par Haïti Support Group (organisme qui dit défendre “une vision alternative du développement”) et reprise par Alterpresse, un ancien fonctionnaire estime que la CIRH était “mal conçue, dysfonctionnelle, peu efficace”, et élaborée “comme une structure destinée à aider non pas Haïti ou les Haïtiens, mais les donateurs”.

Bref, elle avait le mérite d’exister, mais la lourdeur de sa structure a largement freiné ses capacités. Haïti Support Group cite ainsi un officiel de l’ONU, très critique à l’égard des consultants de “McKinsey and Co”et du personnel de la fondation Clinton qui travaillaient pour la CIRH.“Le problème était double. D’abord, ils n’avaient aucune expérience en développement et ne savaient absolument pas de quoi ils parlaient… ensuite, ils n’en étaient même pas conscients”. Conclusion: le mandat de la CIRH reste pour le moment au point mort.

Il existe par ailleurs un ministère de la planification qui gère aussi les projets de la reconstruction. Mais la présence de l’Etat, gangréné par le clientélisme, se limite bien souvent aux effets d’annonce du président Martelly, un ancien chanteur surnommé Sweet Micky. Les ONG et les organismes onusiens tentent pourtant d’intégrer le gouvernement haïtien affaibli dans la reconstruction.

2. Où en est la situation deux ans après le drame?

Difficile, en parcourant les rues de Port-au-Prince, de se dire que le pays va mieux. Des débris s’accumulent de part et d’autres – la moitié des 10 millions de mètres cubes de fatras ont été néanmoins enlevés – de nombreuses maisons, qui auraient dues être détruites, sont toujours là, bringuebalantes, prêtes à être soufflées à la moindre tempête.

Au lendemain du 12 janvier, 1,5 million de personnes étaient réparties dans 1550 camps, contre 500.000 logeant dans 752 camps aujourd’hui. Entre temps, certains sont retournés dans leur province d’origine ou ont pu reconstruire, soit par eux-mêmes, soit avec de l’argent distribué à cet effet. D’autres enfin habitent l’un des 100.000 abris transitoires mis en place, notammment par la Croix Rouge. Pour l’ONG Première Urgence, ces abris, sortes de petites maisonnettes en bois, constituent un “mal nécessaire”: elles ont vocation à rester viables deux ans environ, et résistent mal aux inondations. D’autres projets de reconstruction sont en cours, à l’image du programme 16/6, qui vise à réhabiliter 16 quartiers et à reloger les habitants de six camps.

Deux ans après le séisme, un Haïtien sur deux ne mange toujours pas à sa faim, et 2/3 de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec un accès à l’eau potable difficile (car payant), malgré les multiples actions menées par les ONG.

Par ailleurs, il a fallu affronter, quelques mois après le séisme, une autre urgence. “La reconstruction n’a pris son élan qu’en 2011, car il a fallu faire face à à la crise du choléra”, commente Emmanuelle Schneider, porte-parole d’Ocha, l’organisme onusien chargé de fédérer les acteurs de l’humanitaire. La crise aurait été introduite par les Casques Bleus népalais, même si les études sur la question divergent. Elle a fait, depuis son apparition en octobre 2010, plus de 7.000 morts dans le pays, et suscité l’animosité des Haïtiens envers les organisations internationales, faisant fleurir des slogans peu favorables à l’ONU sur les murs détruits de la capitale.

3. L’argent promis par l’aide internationale a-t-il été distribué?

Onze milliards avaient été promis par les donateurs internationaux(états, organismes onusiens, etc.), entre 2010 et 2012, dont 4,6 milliards pour 2010/2011. Une partie de cette somme a été effectivement versée, (2/3 de l’aide récoltée aurait été distribuée), mais les donateurs internationaux rechignent à décaisser le reste au vu du contexte politique, comme le signale cette enquête de Courrier International.

A cette aide internationale s’ajoutent évidemment les dons des particuliers aux associations. Celles-ci ont pu choisir de garder une partie de cet argent pour des projets de développement sur le long terme en Haïti.

Dans le pays, une remarque revient beaucoup chez les Haïtiens démunis, croisés dans les camps:

“les ONG font de l’argent sur notre dos, elles montrent notre situation pour obtenir des fonds et payer leurs emplois”. Explications de l’économiste haïtien Camille Chalmers: “la majorité des décaissements ont été absorbés par des institutions étrangères. Beaucoup d’appels d’offres, lancés par des ONG, ont profité à des entreprises américaines.”

Du côté des ONG, on rétorque que le pays manque encore d’expertise. Il n’empêche: peu d’argent est finalement parvenu au gouvernement haïtien, comme le révèle ce graphique du Guardian.

4. Quels sont les obstacles à la reconstruction?

Haïti continue de payer très cher le prix de son indépendance, il y a 200 ans, qui lui valut de payer une dette abyssale… à la France. Depuis, l’Hexagone et les Etats-Unis se disputent une influence sur cette demi-île, qui n’a connu que l’instabilité politique, les coups d’Etat et la dictature.

Conséquence de cette absence d’Etat, aucune infrastructure nécessaire au développement n’est mise en place (les routes sont impraticables dans le pays, sauf dans les hauteurs, où vivent les élites), la police est incapable de jouer son rôle, le système administratif plus que kafkaïen, et les Haïtiens ne bénéficient même pas d’une éducation de base… Preuve de ce décalage au sein de la population, ceux qui détiennent le pouvoir parlent le français, tandis que 90% des Haïtiens environ ne maîtrisent que le créole.

Pas d’Etat, donc pas de cadastre: à Haïti, n’importe qui peut s’installer sur un terrain et se décréter propriétaire. Comment organiser, dans ces conditions, la reconstruction des bâtiments?

La présence des ONG elle-même engendre de nombreuses dérives: hausse du niveau de vie, des prix, des loyers. Elle crée pour les Haïtiens des emplois mieux rémunérés, ce qui provoque l’effet inverse de “l’empowerment” [renforcement des capacités] souhaité. Ainsi, les hôpitaux manquent de main d’oeuvre car les médecins préfèrent travailler pour les ONG. Un chauffeur nous expliquait avoir quitté la province, où il était agriculteur, pour venir travailler pour des salariés de l’ONU, à Port-au-Prince. Dans le même temps, le développement de l’agriculture figure parmi les priorités de l’aide! Une situation qui poussele Nouvelliste, principal journal et unique quotidien du pays depuis le séisme, à s’interroger: les ONG font-elles plus de mal que de bien?

Leur niveau de vie, symbolisé par leurs 4×4 (quand la plupart des Haïtiens se déplacent en “camionnette” ou “tap-tap”, sorte de mini bus où tout le monde est entassé dans une chaleur à peine supportable), cristallise les frustrations des Haïtiens.

De toute manière, les ONG diminuent peu à peu leurs programmes dans le pays, faute de financement. Sur la scène internationale, de nouvelles causes font leur apparition et suscitent l’aide des donateurs, comme le Printemps arabe.

Finalement, le pays vit principalement de l’aide humanitaire et de celle de la diaspora (un Haïtien sur cinq vit en effet à l’étranger). Partout dans Port-au-Prince, les enseignes Western Union fleurissent. Si elle est salutaire, cette aide favorise aussi un certain attentisme.

5. Comment reconstruire Haïti?

Il y a d’abord la reconstruction en elle-même, des bâtiments: de nouvelles techniques doivent être apprises, car les constructions d’avant le séisme n’étaient pas du tout adaptées. Des programmes, indispensables, consistent à former des maçons ou les habitants eux-mêmes aux techniques visant à solidifier les murs.
Lors du séisme, c’est aussi le manque d’éducation qui a tué: beaucoup ne savaient même pas ce qui était en train de se produire!

Les donateurs se consacrent aujourd’hui à la construction d’infrastructures routières, la relance économique (notamment de l’agriculture), le relogement des habitants. Mais les bailleurs de fonds sont souvent pointés du doigt: “ils veulent investir dans le développement, mais pas dans tous les projets. Pour eux la phase d’urgence est passée. Or, il y a encore beaucoup de besoins”, estime Emmanuelle Schneider, porte-parole d’Ocha.

Présent au World Leaders Forum à Columbia en septembre dernier, le ministre des Affaires étrangères haïtien lisait un discours du président Martelly dans lequel il décrivait les quatre étapes à suivre:

– une meilleure évaluation des programmes

– encourager la participation des Haïtiens eux-mêmes

– renforcer les institutions

– encourager les investissements.

Investir en Haïti? C’est le nouveau leitmotiv du gouvernement, encouragé par des relais médiatiques. Mais le sujet provoque déjà un tollé auprès de ceux qui estiment que le principal “argument de vente” de Michel Martelly est la main-d’oeuvre peu chère du pays.

Même si elle doit être détaillée, la piste de l’entrepreneuriat, via le microcrédit ou en faisant venir de plus grands investisseurs, reste une solution d’avenir pour Haïti, à l’heure où les humanitaires quittent peu à peu le pays.

Elodie Vialle, à Port-au-Prince.

Cet article a d’abord été publié sur Youphil.

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